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Sommes-nous déjà dans une datacratie ?

Savez-vous que toutes les dix minutes, nous créons autant d’informations que les 10 000 générations qui nous ont précédés ?  Ce bouleversement civilisationnel a forcément une incidence sur la société. Tout l’enjeu est alors de déterminer l’ampleur de cette incidence pour ne pas prendre une tarte sur la face quand il sera déjà trop tard. Peut-être est-ce déjà le cas ?

En tout cas, pour l’instant laissez-moi vous poser une petite question. Vous connaissez sans doute la démocratie, l’oligarchie, la ploutocratie, la théocratie, mais connaissez-vous la datacratie ? Sinon, laissez-moi vous raconter une histoire, vous allez mieux comprendre. Elle a été rapportée par Marc Goodman dans son livre Les crimes du futur. Elle illustre comment la datacratie risque de vous surprendre dans les années à venir.

« Un homme habitant Minneapolis apprit que sa fille était enceinte, non pas de sa propre bouche, mais par l’intermédiaire du Target Store du coin, (un magasin discount). Il en fit la découverte quand le grossiste en question commença à envoyer à la jeune fille de 15 ans des bons de réduction pour des articles ne rencontrant pas particulièrement l’approbation de son père. Armé des bons en question et d’une lettre adressée à sa fille, le père fit une entrée fracassante par Ia grande porte du magasin et commença à admonester le gérant. Ma fille a reçu ceci par la poste…Elle est encore au collège, et vous lui envoyez des prospectus pour des vêtements de nouveau-né et des berceaux? Vous voulez l’encourager à tomber enceinte ou quoi ? » Quelques jours plus tard, l’homme appela le magasin au téléphone, pour s’excuser, ajoutant : « Il s’est passé certaines choses sous mon toit dont je n’avais aucune connaissance. Elle va accoucher courant août. Je vous dois des excuses. » Mais comment diable le magasin savait-il que sa fille était enceinte ? Grâce à son très élaboré algorithme de prédiction de grossesse, bien sûr, qui empile l’historique complet des achats d’un client, avec des statistiques démographiques récupérées auprès de courtiers en données. Le magasin en avait tiré comme conclusion que s’il arrivait à dénicher ces femmes avant la fin de leur second trimestre de grossesse et à les harponner avec ses offres spéciales et promotions, il récupérerait la plus grosse part de leurs achats à venir, à court mais aussi à moyen terme, pas juste les lingettes, les berceaux et les couches, mais également les jouets et les vêtements, du premier âge à l’adolescence. Suite à un examen approfondi par les statisticiens et algorithmes de Target, le grossiste a été capable d’identifier vingt-cinq produits qui, une fois examinés tous ensemble, permettent d’assigner à chaque cliente une  » prédiction de terme de grossesse « . Quand cette modélisation a été exploitée pour les millions de femmes présentes dans la base de données de clientèle de Target, des milliers et des milliers de femmes enceintes ont été identifiées avant qu’aucune autre entreprise puisse faire la connexion. Le grossiste et son département marketing ont été fous de joie de faire cette découverte. »

Cette histoire est l’exemple parfait de l’utilisation de la datacratie. Vous avez compris ? Au delà du fait, qu’elle pourrait être le système politique du futur, la datacratie peut aussi désigner la gouvernance ou la prévision généralisée par les données numériques.  Oui ! Contrairement aux autres système politiques, elle a recours à nos propres données que nous fournissons gratuitement et avec allégresse pour mieux nous connaître d’abord, puis ensuite extrapoler notre futur à partir d’algorithmes censés détenir la vérité absolue.

L’ère de la datacratie

Cette datacratie n’est qu’à ses débuts. Je fait l’hypothèse qu’elle deviendra omniprésente dans nos vies dans quelques décennies. Pourquoi ? Nous confions de plus en plus nos données personnelles à des entreprises privées. Ces dernières les vendent aux plus offrants qui s’en serviront pour faire du ciblage prédictif. A quel dessin ? J’en vois au moins trois. Les Etats s’en serviront pour prédire les comportements des peuples, les entreprises, pour prédire le comportement des consommateurs, et les individus, pour tenter d’influencer leurs proches (conjoints infidèle par exemple, ça vous fait moins rigoler n’est-ce pas ?).

A voir les tendances actuelles, dans le futur, la datacratie occupera une place plus importante. Demain de la même manière que les romains consultaient les augures, que les africains consultent les géomanciens, nous irons consulter les experts de la datacratie avant d’entreprendre un projet important. En plus, du fait que la datacratie est capable de chiffrer ses prévisions, elle donne l’illusion d’être infaillible. En effet, plusieurs études ont montré que les humains sont plus convaincus par des argumentations basées sur des chiffres. Pour vous en convaincre, imaginez que vous êtes chef d’Etat, préférez-vous écouter une intelligence artificielle avec des chiffres concrets à l’appui ou écouter votre vieux conseiller jacasseur tout simplement parce qu’il est expérimenté ? L’expérience prouve qu’en situation réelle, la majorité écoutera l’IA.

Encore mieux !

Pour mieux illustrer l’avènement de la datacratie, prenons un autre exemple concret qui vous concerne cette fois-ci (Pas de panique, je n’ai pas vos données !). En 2015, Facebook a commandé une étude pour évaluer la fiabilité de ses algorithmes de prédiction. Les résulats sont sans appels. A partir des likes des pages web, des images et des clips, les algorithmes de Facebook dépassent les humains dans l’évaluation du profil psychologiques des 86220 participants. Ce qui permet à l’entreprise américaine de mieux vous connaître que les membres de votre famille, vos amis ou vos collègues de travail. Avec 10 likes, Facebook vous connaît mieux que vos collègues, à partir de 70, il prédit mieux votre profil psychologique que vos amis. Avec 300 likes, la prédiction de l’algorithme est meilleure que celle de votre conjoint…Selon l’essayiste Yuval Noah Harari, votre épouse pourrait dans ce cas, peut-être acheter vos données et calculer la probabilité que vous le trompiez. Le futur promet n’est-ce pas ?

Michal Kosinski, chercheur en psychologie à l’université de Stanford affirme ceci : « Nous pouvons transformer vos likes sur Facebook en des prédictions fiables de vos opinions politiques, religieuses, de votre intelligence, votre orientation sexuelle. Ou même si vos parents sont divorcés ».

Et ce n’est que le début d’une nouvelle civilisation ou pour être moins prétentieux d’une nouvelle société. Par exemple, savez-vous que toutes les dix minutes, nous créons autant d’informations que les 10 000 générations qui nous ont précédés ? Nous sommes en train de rentrer dans une civilisation ou l’information est devenue le nouveau pétrole. Toutes les données que vous divulguez gratuitement sur Ies réseaux sociaux sont stockées et classés pour être revendues à des entreprises qui connaîtront vos centres d’intérêts et sauront comment vous manipuler. Il existe déjà une industrie des données que l’essayiste français Eric Sadin nomme le complexe numérico-industriel. Ses courtiers en données possèdent nos millions de profils qui contiennent : sexe, numéro, téléphone, type de véhicule, achats récents, orientation politique, problème de santé, passe-temps. Ils les utilisent pour faire ce qu’on apple un ciblage comportemental. L’objectif est de vous comprendre avec une précision diabolique afin de vendre votre profil aux publicitaires, aux marketteurs ou à des associations politiques. Souvenez-vous du scandale Cambridge analytica !

Le futur de la datacratie

Demain, en cumulant vos données de géolocalisation au fil du temps, des tierces personnes peuvent déduire si vous allez plutôt à l’église ou à la salle de gym, si vous buvez de l’alcool, si vous voyez un psy, ou même si vous trompez votre conjoint(e). Vous n’y croyez pas ? Souvenez-vous du père de famille qui appris par l’intermédiaire de la boutique du coin que sa fille était enceinte.

Cependant s’il y bien une chose que je peux dire de plus, c’est que pour que la datacratie se démocratise (ironie du sort ?) totalement, il faut selon moi une condition sine qua none. Toutefois, cet article devenant déjà trop long, je vous en parlerai dans un prochain article.

En attendant, il me plaît de terminer ce article par cette phrase du poète soufi Hakim Sana’i, « L’humanité tisse la toile où elle se prend. » Au 21ème siècle, elle a tissé une toile numérique dans laquelle, elle pourrait s’empêtrer. Si vous laissez des données sur le net, n’oubliez pas ! La datacratie vous surveille !

 

Komlavi GOG

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