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Stoïcisme numérique : Marc Aurèle au secours d’Internet

Considérez la phrase suivante :

 41 % des Français estiment avoir été victimes de cyberviolences et 31 % admettent avoir usé de leurs pouces pour nuire à autrui.

C’est l’une des conclusions d’une enquête de l’IPSOS menée en 2021*. De quoi cette étude est-elle le nom ? En fait, c’est probablement la première fois dans l’histoire de l’humanité que 7 milliards de personnes ont grâce à la technologie un droit de regard et de parole sur vos actes. En théorie, ils peuvent tous vous insulter en même temps. « Que voulez-vous ? Plaire à tous ces gens ? Êtes-vous un esclave ou un homme libre ? » demanderait sûrement, un maitre stoïcien du temps où Rome faisait la loi autour du pourtour méditerranéen. » 

Dans mon article sur l’avènement d’Homo numericus, j’annonçais que nous vivons un changement civilisationnel. Nous passons d’un système homocentrique à un système datacentrique où tout tourne autour de l’information. Ce bouleversement amène selon moi un fait pour l’instant sous-estimé : l’information devient une arme aussi tranchante que la lame d’une épée de Yakuza, surtout sur les réseaux sociaux. Qui dit nouvelle arme, dit nouveau moyen de défense ou de protection. Lequel ? On le verra plus tard dans cet article. Pour l’instant, décrivons cette nouvelle arme.

D’abord les faits. Dans notre civilisation de l’information, nous créons toutes les dix-minutes plus de données que les 10 000 générations qui nous ont précédés. L’ensemble de ces données numériques, des technologies qui les rendent possibles et leurs interactions avec la société est appelée datasphère. Dans cette datasphère, nous avons tous le même droit de parole (sous réserve de la censure numérique comme celle de Donald Trump). Par exemple sur les réseaux sociaux, en matière de santé, un prix Nobel de médecine a théoriquement le même temps de parole que moi qui n’y connaît rien. D’une certaine manière, c’est comme si dans le même quartier tout le monde possédait des armes de même calibre. N’assisterait-on pas à des fusillades fréquentes comme aux USA ?

Justement, des fusillades verbales ou écrites par écrans interposés, c’est le quotidien sur les réseaux. Qui n’a pas suivi les innombrables polémiques qui rythment désormais notre vie numérique ? Il ne se passe plus une seule journée sans que des tweets acides ne se déversent sur Twitter ou des commentaires nauséabonds ne pullulent sur Facebook. Une expression a d’ailleurs été consacrée pour décrire le phénomène : « Ça tire à balles réelles sur Twitter. ».

À bien y réfléchir, c’est la première fois de l’histoire qu’un humain assis dans son canapé, sirotant tranquillement un jus de fruit, peut s’il le veut et en quelques caractères toucher le cœur d’un autre humain assis au bord de la mer à l’autre bout de la planète. Autrement dit, votre cœur est à portée de tweet. C’est pour cela qu’en Afrique de l’Ouest, il y a une phrase qu’on répète aux internautes qui sont hypersensibles aux commentaires sur les réseaux sociaux : « Ne mets pas le cœur dedans. » Et ils ont bien raison. Sinon, soyez sûr que dans la datasphère, à la moindre occasion, certains esprits n’hésiteront pas à vous le broyer. Vous allez en souffrir, mais vous ne pourrez rien faire, hélas.

On a tous vu d’éminentes personnalités se faire littéralement dégommer par des gens qui pourtant ne comprennent rien aux sujets de discorde. Pour employer une formule nietzschéenne, il existe aujourd’hui tout un tas de mouches venimeuses dont le rôle est non seulement de faire du tapage sur la place publique, mais aussi de déconstruire ou de descendre tout ce qui paraît haut à leurs yeux (le « paraît » est important, j’y tiens). Ces agitations de la datasphère peuvent distordre d’une manière très spectaculaire, votre perception. Alors que vous êtes à la maison entourée de votre famille, vous avez l’impression en consultant votre smartphone que le monde brûle. Cependant, un petit coup d’œil par la fenêtre vous indique le contraire. Et pourtant, votre tête cafouille. Voilà le pouvoir de nuisance de la datasphère.

Pour enfoncer le clou, l’anonymat et surtout la distance physique sur Internet incitent l’internaute à franchir des limites qu’il ne s’autoriserait pas s’il était à deux pas de vous. Pourquoi ? Parce qu’il risquerait une réponse immédiate et peut-être musclée. En fait, tout se passe comme si protégé par l’anonymat et la distance physique, l’internaute sait qu’il ne risque rien à insulter donc il y va sans filtre aux risques et périls de son concitoyen de l’autre côté de l’écran.

Face à ce constat, force est de constater qu’il faut être bien gainé pour vivre au milieu de ce tohu-bohu numérique sans causer des dommages à sa santé mentale. Convaincu que le monde à venir reste largement à penser, j’ai longuement réfléchi à ce phénomène. Je suis arrivé à la conclusion que la philosophie stoïcienne pourrait être la stratégie la mieux adaptée pour affronter le cynisme et la virulence de la datasphère. Pas que je suis stoïcien moi même, loin de là. Mais il faudrait peut-être inventer une sorte de stoïcisme numérique pour la vie sur les réseaux, puisqu’une grande partie de notre existence s’y déroule désormais, surtout celle d’Homo numericus. 

Jadis, le stoïcisme demandait de ne pas confondre la réalité et les représentations de l’esprit. Il ne croyait pas si bien dire. À l’heure du tout numérique, la confusion entre la réalité et les représentations fait des ravages. Il faut donc trouver des solutions. Ainsi dans les prochaines lignes, qu’il me soit permis de parodier quelques maximes stoïciennes tirées du Manuel d’Epictète pour les adapter à la vie sur les réseaux sociaux.

Pour commencer, s’il devrait exister un stoicisme numérique, sa devise serait sans doute :

« Sur les réseaux sociaux, il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui n’en dépendent pas. Ce qui dépend de nous c’est publier, partager, liker, en un mot, tous les actes qui nous appartiennent. Ce qui ne dépend pas de nous, c’est la réaction de la datasphère, les commentaires insultants, en un mot, tous les actes qui ne dépendent pas de notre pouce.»

Si on applique la philosophie stoïcienne, on pourrait dire qu’être jugé sur les réseaux sociaux est inévitable. Vouloir ne pas être critiqué en ligne est un désir de fou. Se plaindre qu’on vous insulte ou qu’on vous juge, c’est se plaindre qu’un homme ait fait l’une des choses qu’Homo sapiens sait faire le mieux : juger ou donner son avis même quand on ne lui a rien demandé, bref faire de la morale.

« Souviens-toi donc que si tu crois libre, ce qui sur les réseaux ne dépend pas de toi, ton esprit sera affligé, troublé par les réactions des polluposteurs et tu t’en prendras aux dieux et aux hommes. »

Et puis quand on y pense réellement, lorsqu’on vous insulte sur les réseaux, est-ce vous qu’on vous insulte ou votre avatar ? S’énerver pour tout commentaire désagréable, n’est-ce pas céder à la seule violence de l’imagination causée par la virulence virtuelle de la datasphère ?

« Si tu vas publier sur les réseaux, représente toi ce qui arrive sur les réseaux, les gens qui vous insultent, qui vous rabaissent, qui vous ignorent. Ainsi, tu seras plus sûr de toi en postant sur les réseaux. De cette manière, s’il t’arrive sur les réseaux quelques désagréments, tu ne seras pas surpris. Cela t’évitera de venir chialer. »

La violence de la datasphère échappe à votre contrôle. Tout ce que vous pouvez contrôler, c’est votre réaction, ou mieux dirais-je, votre pouce. 

« Souviens-toi que tu es là pour publier et non pour être nécessairement aimé. »

En attendant que la violence soit mieux régulée dans la datasphère, ou qu’on inflige peut-être des amendes aux polluposteurs, je vous laisse méditer cette citation de Friedrich Nietzche : « Ce qu’on fait n’est jamais compris mais seulement loué ou blâmé. ». 

 

Komlavi GOG

P.S : La seconde partie de l’article est en partie une parodie née de mon imagination. Il ne s’agit en aucun cas d’un conseil ou d’une recommandation.

*Il s’agit d’une enquête d’Ipsos pour l’association Féministes contre le cyberharcèlement

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