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Homo deus ou Homo numericus ? Et si Harari avait tort ?

Dans son best-seller Homo deus, l’essayiste Yuval Noah Harari postule qu’Homo sapiens essayera grâce entre autres à l’Intelligence Artificielle et à la biotechnologie de devenir un dieu, c’est-à-dire un Homo deus. Avec tout le respect que je dois à cette somnité intellectuelle, après la lecture de son livre, je pense son raisonnement mériterait d’être affiné. Ainsi, je postule qu’Homo deus ne sera pas la seule espèce qui habitera la Terre. Elle cohabitera avec une autre espèce : l’Homo numericus. Comment et pourquoi cette cohabitation se fera t-elle ? Nous allons le voir tout de suite. Mais avant, plantons le décor.

Qu’est-ce que Homo deus selon Yuval Noah Harari ?

Pour résumer brièvement, l’auteur précité pense que depuis la Révolution Industrielle, l’Homo sapiens est en train de vaincre la famine, les épidémies et la guerre. Chiffres à l’appui, il dit :

Aujourd’hui, il y a plus de victimes de l’obésité que de la faim, plus de gens qui meurent de vieillesse que de maladies contagieuses, et plus de personnes qui se suicident que de victimes de guerre.

Or autrefois, toutes ces calamités étaient attribuées à des divinités ou à des superstitions à dormir debout. Ainsi, débarassés des maux qui affublent l’humanité depuis des millénaires grâce à la technologie, les humains toujours insatiables se mettront à partir de ce XXIe siècle à la quête de projets dignes des dieux ou d’un Dieu. De tels projets sont entre autres la quête de l’immortalité, la volonté de trouver la formule du bonheur etc.

Home deus est donc cette espèce qui grâce à la science et à la rationnalité inhérente a appris à déchiffrer les lois de la nature. Les phénomènes naturels (orage, maladies, tremblement de terre …) ne sont plus expliqués par les mythologies religieuses mais plutôt par les preuves et des raisonnnements logiques. Les dieux étant morts puisqu’on a plus besoin d’eux pour expliquer des choses qu’on peut désormais expliquer par la science, Homo sapiens voudra lui même devenir un Homme-dieu (rien que çà) d’où le terme Homo deus. Gràce à quoi ? Grâce à aux NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives).

Le hic ?

Voilà en quelques mots, la thèse de Yuval Noah Harari. Jusque là, le raisonnement est implacable. Rien d’illogique. Cependant, lorsqu’on lit dans le détail les projets auquels devraient s’adonner cet Homo deus selon Harari, ont peut aisément se demander si dans un avenir proche ou même lointain, tout le monde pourra être un Homo deus ? En effet, rien qu’à oberver déjà le monde actuel, il me paraît clair que ce n’est pas tout le monde qui pourrait avoir ni les moyens ni la volonté d’être immortel pour ne prendre que cet exemple. Cette quête d’immortalité est pour l’instant la lubie de quelques milliardaires dont le compte bancaire n’est pas vide le 15 du mois.

 Peter Thiel, un des entrepreneurs qui a cofondé PayPal estime qu’il est « étrange et un peu pathologique de se résigner à mourir ». Raison pour  laquelle, il investit des milliards dans les biotechs qui travaillent sur la longévité. Il a même signé un contrat avec le numéro un mondial de la cryogénisation, pour être congelé après son décès pour pouvoir être réanimé si les recherches aboutissaient dans un avenir plus ou moins lointain.

Le milliardaire russe Dimitri Itskov lui ne jure que par l’immortalité cybernétique. Comment ? Transférer la conscience humaine sur un ordinateur en y téléchargeant le contenu du cerveau. Sûr de son projet, il a contacté les mille personnes les plus riches de la Terre pour qu’ils investissent dans la recherche sur l’immortalité cybernétique.

On peut alors imaginer que de la même manière que tout le monde ne peut pas acheter des Ferrari, tout le monde n’aura pas les moyens pour être un Homo deus. De même, si la formule du bonheur est trouvée un jour (à supposer qu’elle existe), rien n’est sûr qu’elle sera livrée gratuitement dans ce monde ultra-libéral où même respirer un air pur sera bientôt facturé.

Par ailleurs, au delà de la simple problématique des moyens ? Est-il souhaitable pour tous les citoyens de devenir immortels ? Si vous vivez au SMIC en région parisienne, que vous êtes embourbés dans la routine du boulot-métro-dodo et que vous revenez le soir fatigué comme un docker, voudriez-vous continuer à vivre éternellement ? La réponse n’est pas évidente. Cependant, pour un milliardaire qui estime que sa vie est pleine (si on ne se limite qu’au côté matériel), vivre éternellement est plutôt une option envisageable qu’un casse-tête. La question frôle le débat philosophique. Faisons-donc un détour par un vieux et moustachu philosophe allemand dont le concept d’éternel retour me semble adapté pour cette réflexion.

Friedrich Nietzche, puisque c’est de lui qu’on parle définissait le concept d’éternel retour en ces termes : « Mène ta vie en sorte que tu puisses souhaiter qu’elle se répète éternellement ». Par là il invitait les humains (surhumains ?) à faire des choix de vie de telle sorte qu’ils puissent souhaiter que chaque instant se reproduise éternellement. Or si on reprend l’exemple du mec qui est embourbé dans le boulot-métro-dodo en région parisienne et d’un héritier milliardaire qui voyage tout le temps en jet-privé ou sur son yatch, lequel d’entre les deux voudra que chaque instant de sa vie se répète éternellement ? La question, elle est vite répondue, je crois.

Homo deus et Homo numericus vivront côte à côte ou face à face ?

À mon avis, alors que les milliardaires ont des raisons de souhaiter cet éternel retour (l’éternelle vie, devrais-je dire), le reste du petit-peuple n’en aura forcément pas le souhait (Oui, je sais, vous allez me dire que l’argent ne fait pas le bonheur. La misère non plus, figurez-vous mon cher !). C’est l’une des raisons pour lesquelles, je pense qu’il y aura certes des Homo deus : ceux qui investissent dans ces technologies quasi-divines ou auront les moyens d’en profiter mais aussi de l’autre côté, la grande majorité qui subiront la civilisation du tout numérique. Ces derniers seront les Homo numericus. Si vous avez lu mon article, vous savez ce qu’est Homo numericus. Sinon je vous fais un bref résumé.

Dans mon article, j’ai écrit qu’à cause de l’emprise du digital sur la vie, la Terre sera peuplée par des Homo numericus. C’est une espèce qui sera essentiellement hyperconnectée en permanence et mieux connue par les algorithmes qu’elle ne se connaît elle-même ou tout au moins avec une marge d’erreur plus faible. Ainsi, si je carricature à l’extrême pour bien faire ressortir mon idée, de manière générale, il y aura sur Terre deux types d’humains :

  • D’abord la classe dominante : Les Homo deus qui maîtriseront les technologies et leurs effets et posséderont les grosses entreprises du complexe-numérico industriel. Grâce à leur puissance financière, ils éditeront les nouvelles normes de la civilisation datacentrique. Ils pourront en plus sous réserve des questions éthiques augmenter leurs capacités cognitives ou accéder à l’immortalité si jamais les recherches aboutissent.
  •  Et en bas de l’échelle les Homo numericus qui ne pourront que s’insérer dans le Nouvel Ordre Numérique conçu par les premiers. Aujourd’hui, déjà une seule ligne de code changé par Google est en réalité l’équivalent d’une loi et conditionne nos actions.

D’une manière générale, si vous prenez du recul, vous allez remarquer que paradoxalement, la science en devenant plus complexe crée des outils technologiques qui simplifient la vie quotidienne. Ne perdons-nous pas par là en capacité et en qualité de réflexion personnelle ce que nous gagnons par la simplification de nos actions quotidiennes ? Où je me trompe ? En tout cas, je l’espère.

J’ai toujours pensé, et je maintiens que le scénario d’une IA qui dominerait les humains est un fantasme. Il y a plus urgent. C’est le renforcement des logiques de domination. Et cette fois-ci, à cause des révolutions en biotechnologie et en sciences cognitives, l’écart entre Home deus et Homo numericus risque d’être abyssal. Pour éviter les effets pervers des écrans sur le cerveau, les gourous de la Silicon Valley ne scolarisent-ils pas déjà leurs enfants dans des écoles où il n’y a pas d’utilisation massive d’écrans ?  D’ailleurs, Harari lui-même dans son livre Homo deus enfonce le clou sur cette question sans explicitement faire la distinction entre Homo deus et Homo numericus :

Au début du XXIe siècle, le train du progrès sort à nouveau de la gare et cesera probablement le dernier train à quitter la gare Homo sapiens. Ceux qui loupent le train n’auront jamais de seconde chance. Pour y trouver une place, il faut comprendre la technologie du XXIe siècle, et notamment les pouvoirs de la biotechnologie et des algorithmes informatiques. Ces pouvoirs sont bien plus puissants que la vapeur et le télégraphe, et ils ne serviront pas simplement à produire des vivres, des textiles, des véhicules et des armes. Les grands produits du XXIe siècle seront les corps, les cerveaux et les esprits, et l’écart entre ceux qui savent concevoir des corps et des cerveaux et les autres sera bien plus grand qu’entre la Grande-Bretagne de Dickens et le Soudan du Mahdi. En fait, il sera plus large que l’écart entre Sapiens et Neandertal. Au XXIe siècle, ceux qui prennent le train du progrès acquerront des capacités divines de création et de destruction qui reste à la traîne sera voué à l’extinction.

Yuval Noah Harari

Je complète cette réflexion en disant qu’avant d’arriver à l’extinction, on peut parier que ceux qui rateront le train de ce pseudo-progrès passeront par la case de la domination. Tout cela me fait penser à une autre phrase de Nietzche (encore lui) à propos de son concept de surhumain.

Qu’est le singe pour l’homme ? Une dérision ou une honte douloureuse. Et c’est ce que doit être l’homme pour le Surhumain : une dérision ou une honte douloureuse.

Friedrich Nietzche

À l’allure où va le monde, j’espère qu’Homo numericus ne sera pas une dérision ou une honte douloureuse pour Homo deus, à moins que ce soit déjà le cas…

 

Komlavi GOG

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